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     26.03 Sapho au Tambour- Dé[ka]lamons             Au Tambour robe noire. Diva des grands soirs ? Non, déesse antique, elle est là, Sapho, accompagnée d'Ingrid guitare flamenco. Peu de choses sur scène. Dans l'obscurité, quelques bougies, une lampe et sa table basse où sont posées les pages du texte. Habillée tout de noir Adams - d'où ressortent si bien ses bras, ses mains, son visage blanc – et portant le filet du deuil, elle est muse dans une crypte, qui n'a ici rien de morbide.

     

    Voix assurée, douce et envoûtante, elle dit le blanc, elle le chante. Le blanc, le blanc des pages, des silences, du temps nu et des cocaïnes. En échos sonores, elle nous emmène au désert puis se souvient (un peu) de la Grammatologie. Jacques Derrida, son ami, est là sous les lampes bleues alcalines. Quelques accords qui donnent bien plus que l'Andalousie. Et Paris qu'on entrevoit, aussi, aussi. Et puis encore le blanc d'où naissent les livres. Elle pose la question du "je", du sujet et du comment. Rilke passe dire bonsoir. Et le 06 de Jeanne Moreau inscrit sur son écharpe blanche hermine. Elle a le sens de la punchline et l'amour Mahmoud Darwich qu'elle chante en gestes arabesques. Universelle, elle embrasse l'existence pour lui donner mots. C'est beau. On ira lire. Avec la grâce d'une phrase lancée en l'air et qui ne retombe pas, Sapho repart en taxi.

     

    Quelques phrases attrapées au vol :

    - Blanc le temps nu. Un ange passe [...] blanc quand le temps se tait [...] silence de la page [...] et je reviens au blanc, au blanc."

    - Souffler sur la cocaïne comme on souffle sur l'esprit de sérieux."

    - mon cœur dans un château de carte."

    - Je suis une direction intimement déroutée."

    - ...blanc d'avant toute peine, blanc l'étoffe des hôpitaux, les murs des maternités…"

     

    26.03 Sapho au Tambour- Dé[ka]lamons

    Aux questions du public, elle dit :

    - la poésie, c'est le contraire de la langue de bois."

    - L'aventure de l'écriture, la poésie n'a aucune contrainte si ce n'est celle que se donne le poète."

     - Et puis, inspirée de Michel Foucault :  "La poésie se joue de toutes polices."

    - dans le mot blanc, il y a le mot noir."

     

     M.P

     


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    26 / 03 Ecrire et publier en temps de crise TRAVESIAS   

    Écrire et publier en temps de crise, c’est le débat de ce soir. Rien d’étonnant à ce que cette soirée organisée par Travesias se déroule à la Maison Internationale, avec les auteurs Washington Cucurto et Pedro Mairal, l’Argentine est à l’honneur. Deux autres invités contribuent au débat ; l’auteur rennais Gilles Amalvi et l’éditeur Alain Le Saux.

    Ecrire et publier en temps de crise, il pourrait être question de la crise économique, de la crise idéologique, mais le débat est vaste. Nous recentrons l’intitulé, il sera question de crise du livre. Autour de la petite table ronde, Alain Le Saux lance les hostilités. Il évoque notamment les problématiques que sont Amazone et le numérique puis pose une question centrale, comment conçoit-on le livre aujourd’hui ?

    L’une des principales préoccupations, la place de l’objet livre. Pedro Mairal se souvient ; en 2001, à Buenos Aires, une librairie est pillée. Tout le matériel électronique est détruit et volé alors que les livres restent parfaitement intactes. Pedro s’étonne, c’est comme si le livre n’avait aucune valeur ! Wahington Cucurto quant à lui s’offusque du prix des livres car c’est un objet qui selon lui, devrait toujours être une bonne nouvelle. Ainsi, il nous parle des cartoneros, ces livres fabriqués avec du carton recyclé que l’on se passe de main en main dans les rues de Buenos Aires et qui sont parfois diffusés en librairie. « On aime que quelque chose ne soit pas seulement commercial. Les cartoneros sont fait mains, fait avec amour, avec peu de moyens. »

    Alain Le Saux interroge nos deux invités d’outre atlantique sur leur rapport à la publication numérique. Pedro Mairal ne s’en cache pas, il est très impressionné par ce moyen de publication sans limites, « Je suis publié en Argentine, en Pologne, mais pas en Uruguay, c’est tout de même incroyable ! Alors qu’internet dépasse toutes les barrières éditoriales. » Il raconte avoir été invité à rencontrer des étudiants à l’université de Madison dans le Wisconsin « Il faisait très froid, je me souviens du lac gelé à côté de l’université, pour moi, c’était l’autre bout du monde ! Mais je me suis rendu compte que tous les étudiants présents avaient lu mes livres grâce à internet. J’étais très étonné. »

    Gilles Amalvi se souvient bien de la situation de crise du livre en Argentine. Pour cause, il y a vécu. Sur place, une autre crise, celle du langage. Gilles a très peu de vocabulaire en espagnole et tente continuellement d’expliquer ses pensées avec les quelques mots qu’il connaît. Cette crise si personnelle soit-elle pousse l’auteur à la réflexion ; Il écrit sur l’apprentissage de la langue et s’interroge sur la fragilité de l’assise dans sa propre langue. L’extrait qu’il nous lit ce soir illustre parfaitement son propos ; de longues phrases en français pour une traduction très brève et répétitive en espagnole.

    « Comment extraire des mots ? L’idiome. L’écoute. Des lèvres toucher l’inexplicable »

    Pedro et Washington lisent à leur tour quelques poèmes bien crus de leurs crus, en espagnole. L’idée de crise est peut-être prégnante en Argentine, mais elle ne semble pas décourager nos deux auteurs pour autant.

     

    A.F

     

     


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    25.03 Hind Shouffani et Ritta Baddoura Il faut d’abord la trouver, la MIR (Maison Internationale de Rennes). Il faut repérer le renfoncement. Il faut voir la cour intérieure. Au fond de la cour intérieure, il y a cette grande baie vitrée, cette luminosité. Il y a ce carré de verre où des gens se retrouvent, parlent, exposent. Lorsque l’on entre, s’offre à nous l’exposition photos de Pierre Roth. Le choix des armes ? C’est le nom de l’exposition. C’est une série de photos prises en Septembre 2014 en Syrie qui retrace le quotidien d’une troupe de combattants luttant contre le régime de Bachar Al Assad. Le choix des armes ? C’est aussi une question. Comment se défendre ? Quelles armes choisir et dans quel contexte ? Hind Shoufani et Ritta Baddoura ont fait leurs choix. C’est avec des mots qu’elles se battront ce soir, à la MIR. 


    Elles ont su se compléter… Hind auteure palestinienne à la chevelure rouge et à la longue jupe bigarrée, aux paillettes, là sur son visage, stellaires sur les pommettes, au regard doux qui pourtant, évoquera ce soir l’horreur de la guerre. Je comprends «food», je comprends «bomb», je comprends «intifada», évidemment. Claire Novak traduit l’anglais de Hind, mais Hind parfois, s’efforce de prononcer quelques mots de français. Porteuse d’un message de paix elle veut que chacun entende et comprenne, Hind, elle aime toutes les femmes d’Israel. 


    « J’ai un sentiment d’amour avec les femmes d’Israel ».


    Cependant, « Une boîte de thon pour chaque famille morte, une bougie pour chaque photo de sa femme perdue depuis longtemps », les fantômes sont partout dans les textes de Hind. Il y a le son de la guerre derrière chaque claquement de porte. 


    25.03 Hind Shouffani et Ritta Baddoura Et puis il y a Ritta, auteure libanaise d’expression française, très souriante, rieuse et pétillante. Ritta, elle ouvre grand les yeux pour capter chaque regard. Elle murmure, soupire, souffle de tout son corps, « J’ai mis ma langue à sécher dehors », « Je ne veux plus de la poésie et elle ne veut plus de moi ». Un mot d’ordre à l’écoute de cette lecture performée étonnante ; se laisser aller, suivre sa voix et l’accordéon qui l’accompagne, « des lettres et des syllabes je ne vois que le dos » « chez certains, la langue pousse sèche sans fleur ni fruit ». Parler étrangement. Oui, Ritta connaît. C’est d’ailleurs le titre qu’elle a donné à son dernier livre paru en 2014.


     « Avant, mes poèmes n’étaient pas très bien mais aujourd‘hui les sentiments sont dans mes poèmes » dit Hind dans un français joliment laborieux en conclusion de soirée. Elles se défendent, chacune avec les armes de sa propre langue, se retrouvant sur un point indéniable, les sentiments sont dans leurs poèmes. 

    A.F

     


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     24.03 Michaël Glück, Michaël Glück et Sylvie Nève.            En invitant les poètes Sylvie Nève et Michaël Glück accompagnés de la saxophoniste Maguelone Vidal, Déklamons frappe fort sur le Tambour de Rennes 2.

     

    Le premier mot de la soirée ? « J’écris ». Sylvie Nève pose les bases et nous offre la liste certainement non-exhaustive de toutes les raisons qu’elle a, chaque matin, de prendre la plume.

    A son tour, Michaël Glück, poète émérite reconnaissable à sa grande barbe blanche et à sa chemise col Mao, apporte sa contribution au petit vent d’insurrection qui s’installe dans l’amphithéâtre. Maguelone et Michaël accordent leurs arts et se conduisent l’un l’autre.

     

    Elle, Maguelone, porte des baskets aux pieds. On le constate très vite, c’est indispensable. Elle n’est pas simplement musicienne ; elle vit le son, le texte, elle danse sur scène.

    Tous deux se complètent et interrogent le pouvoir de l’espérance, entremêlant leurs armes en torsade ; un saxo, des mots. Comment s’en sortir ? S’accrocher ? En rythme, à coup d’anaphores, Michaël s’adresse à « elle ». Michaël tente d’imaginer ses réponses à elle. Celle qui. Celle qui dit.

     

    «Tu dis qu’espérer n’est pas un mot à retenir (…), qu’espérer n’est pas un mot mais une caresse oubliée. Une vaine douleur. »

    24.03 Michaël Glück, Michaël Glück et Sylvie Nève.

    Maguelone est tout autour, à côté, dedans. Maguelone est l’indicible. Elle est la voix intérieure. L’ange et le diable sur l’épaule. Elle pose la question qui reste en suspens. Elle est l’écho. D’un son grave et monocorde avec son sax comme une brume épaisse qui nous perd s’échappe un son plus aigu, soudain, un son qui réenclenche la mécanique, comme une tentative toujours plus forte de répondre à la question : Comment s’en sortir ?

     

    « Comment dénoncer l’abjection dans la langue de l’abjection ? »

     

    (C’est un secret, mais je me laisse tomber dans le fond de mon siège au moment où l’on invite le public à participer à la lecture.) Bien mal m’en a pris, l’exercice est doux. Il n’est pas question ici de tourner les projecteurs sur qui que ce soit dans la salle. Maguelone est la chef d’orchestre et gère d’une main ferme les pointes de lectures de part et d’autres de l’amphithéâtre. On est ensemble. Dans le même lieu. Dans le même son. Michaël lit avec nous, entre nous, comme des vagues qui s’alternent. Il n’y a plus de public.

     

    Michaël nous renvoie pour finir à l’insurrection adolescente, à la source de sa poésie à lui. Michaël nous renvoie à ses quatorze ans et à Rimbaud, avant de se retirer et d’inviter Sylvie Nève à refermer la marche. A la manière de Bernard Heidsieck avec son célèbre Vaduz, Sylvie parle de Gaza, des enfants de réfugiés qui peinent à imaginer le monde. « Tout autour de Gaza » fait raisonner l’espoir et le poème de Heidsieck, rendant ainsi hommage au poète disparu en Novembre dernier.

    A.F

     


  • Chanson & Poésies : Sapho, le jeudi 26 mars au Tambour

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